N° 247 mai 1998 |
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Alan Bennett est un souffleur de verre qui exerce son art à Bedford, en Angleterre. Il y quelques années, il fut intrigué par les étranges surfaces qu'étudient les topologistes : ruban de Möbius, bouteilles de Klein, etc. Cherchant à les reproduire, il rencontra un curieux problème mathématique qu'il résolut par le soufflage, alors que des mathématiciens avaient jusque là échoué. Sa série d'objets remarquables, de la recherche mathématique figée dans le verre, sera bientôt exposée dans les musées scientifiques.
Les topologistes étudient les propriétés qui sont inchangées quand une forme est étirée, tordue ou arbitrairement déformée. On impose seulement aux déformations d'être «continues» : les objets peuvent être coupés s'ils sont recollés, de sorte que des points initialement voisins le soient encore après le recollement. La connexion est une propriété topologique : les objets sont-ils d'une ou de plusieurs pièces? Il y a d'autres interrogations topologiques. Les objets sont-ils noués? Sont-ils liés les uns aux autres? Sont-ils troués?
Les formes topologiques les plus usuelles semblent n'être que des amusements enfantins, mais ils sont pleins de mystères mathématiques profonds. Ainsi, le ruban de Möbius, que l'on obtient en recollant les extrémités d'une bande de papier, après l'avoir tordue d'un demi tour, est la plus simple des surfaces à une seule face : si deux peintres munis respectivement de peinture bleue et de peinture rouge peignaient ce qu'ils pensaient être les deux faces d'un ruban, ils finiraient par se rencontrer.
Quand on tord une bande de plusieurs demi tours avant de la recoller, on obtient des variantes du ruban de Möbius. Pour un topologiste, la distinction importante réside entre les bandes recollées après un nombre pair de demi tours, et les bandes recollées après un nombre impair de demi tours ; les premières n'ont qu'une face, et les secondes en ont deux. Pour comprendre pourquoi, coupez une bande tordue de trois demi tours, par exemple ; puis, en conservant les deux coupures parallèles, déplacez l'une des extrémités afin de la dérouler (et non la détordre), avant de la ramener vers l'autre extrémité ; vous obtiendrez, par recollement, un ruban de Möbius, mais pas un simple cylindre. Toutefois le nombre exact de demi torsions n'est pas sans importance : il détermine la façon dont la bande est plongée dans l'espace qui l'environne. La question de la géométrie intrinsèque de la bande est donc d'un autre ordre que la manière dont la bande est plongée dans l'espace. La première ne dépend que de la parité du nombre de demi tours, la seconde de la valeur exacte de ce nombre.
Le cylindre, obtenu par recollement d'une bande sans torsion, a deux bords libres ; le ruban de Möbius en a un seul. La sphère, en revanche, a deux faces mais pas de bord. Une surface à une seule face peut-elle ne pas avoir de bord? Oui, mais, dans notre espace, une telle surface se recoupe elle-même.
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A. Bennett avait entendu dire que si l'on coupe une bouteille de Klein le long d'une courbe appropriée, elle se sépare en deux rubans de Möbius. Plus précisément, une telle opération, pour une bouteille immergée dans l'espace ordinaire telle celle d'A. Bennett, conduit à deux rubans tordus d'un demi tour. A. Bennett se demandait quelle forme il faudrait couper pour obtenir deux rubans tordus de trois demi tours. Son programme de recherche? C'est un acte de foi : «Je crois que si l'on réalise assez de variations du concept de base, la solution la plus logique ou la plus évidente saute finalement aux yeux.»
Soufflant ainsi le verre à la recherche d'une surface qui formerait des bandes à trois demi tours, A. Bennett testa des objets où une trinité apparaissait : des bouteilles à trois cols, des bouteilles trois fois emboîtées, des bouteilles à cols recourbés trois fois... Il apprit à prévoir ce que donneraient les coupures, vérifiant ses prévisions en sciant effectivement les merveilleuses bouteilles qu'il soufflait.
La solution apparut alors qu'il avait soufflé une bouteille dont le col formait deux boucles, avec trois auto-intersections. Il la nomma «vase d'Ouslam», d'après l'oiseau mythique qui vole en cercles décroissants jusqu'à disparaître à l'intérieur de lui-même. Quand on coupe ce vase d'Ouslam verticalement, selon son plan de symétrie (le plan du papier, pour la figure 6), on obtient deux rubans à trois demi-tours : le problème est résolu.
Comme un mathématicien l'aurait fait, A. Bennett poursuivit l'étude : comment obtenir deux rubans à cinq demi-tours? À sept demi-tours? À neuf demi-tours? Le problème général a-t-il une solution? Ajoutant une boucle supplémentaire au vase d'Ouslam, A. Bennett obtint, après découpe, les rubans à cinq demi-tours, et, chaque fois qu'il ajoutait une boucle, il obtenait deux demi-tours de plus dans les rubans formés ensuite. Puis il simplifia la forme, afin de la rendre plus solide, et il obtint des bouteilles de Klein spiralées. Celle qui est représentée sur la figure 4 donne deux rubans à sept demi-tours, après découpe, et chaque tour de spirale ajouté conduit à deux demi-tours de plus sur les rubans formés.
Ayant ainsi compris l'importance des tours de spirale, A. Bennett comprit qu'il pouvait revenir à la bouteille de Klein initiale, en déroulant la spirale. La ligne de coupure se déforme simultanément et s'enroule alors en spirale. Ainsi, si l'on coupe une bouteille de Klein ordinaire selon une spirale, on obtient autant de demi-tours que l'on veut (neuf dans le cas représenté sur la figure 8).
Enfin, une curiosité : on sait maintenant couper une bouteille de Klein afin d'obtenir deux rubans à un demi-tour, mais on peut aussi couper une bouteille de Klein afin d'obtenir un seul ruban de Möbius. Je vous laisse chercher comment, et je vous donnerai la solution dans un prochain numéro de Pour la Science.
2. Bouteille de Klein à trois cols |
3. Trois bouteilles de Klein emboîtées. |
4. Bouteill de Klein à col spiralé. |
5. Autre bouteille de Klein spiralée |
Bibliographie :
© Pour la Science (1998)